L'Ombre de Nollywood plane sur la Croisette : Un tournant pour le cinéma nigérian

Le 78e Festival de Cannes marque une étape historique pour le cinéma nigérian, avec la sélection officielle du tout premier film en provenance du Nigeria : "My Father's Shadow". Ce long-métrage, tourné à Lagos, la métropole vibrante et chaotique du pays le plus peuplé d’Afrique, symbolise l’ascension fulgurante de Nollywood sur la scène internationale. Une visibilité jusque-là inédite, qui témoigne de la puissance créative d’un secteur en pleine mutation.
Depuis plusieurs décennies, le cinéma nigérian s’est imposé comme un acteur majeur du 7e art mondial, avec une production annuelle avoisinant les 2 500 films, soit la deuxième du monde derrière l’Inde. Cette industrie dynamique, née dans le contexte économique difficile des années 80, a conquis un public large grâce à ses productions à petits budgets, ancrées dans la culture et la réalité quotidienne des Nigérians. Aujourd’hui, Nollywood représente un levier économique et culturel considérable, à la fois pour le Nigeria et pour l’Afrique toute entière.
Ce succès est aussi une réponse à une quête d’affirmation identitaire. En Afrique, où les histoires racontent souvent la résilience, la magie ou la lutte, Nollywood se positionne comme le porte-voix d’un continent aux multiples visages. Pourtant, malgré sa croissance et sa richesse créative, l’industrie doit encore relever des défis structuraux, notamment en matière de financement et de distribution mondiale.
L’épopée cinématographique My Father’s Shadow, signé par le réalisateur Akinola Davies Jr., illustre cette nouvelle phase de reconnaissance. Sélectionné dans la catégorie Un certain regard, cette œuvre intime et politique questionne la valeur du temps passé avec ses proches face aux exigences d’un Nigeria en pleine crise politique dans les années 1990. À travers cette narration personnelle, le film devient aussi une réflexion universelle sur l’absence, la famille, et le prix de l’engagement professionnel dans un pays en mouvement.
Ce succès à Cannes représente plus qu’une victoire individuelle pour le réalisateur. Il apparaît comme une reconnaissance du potentiel artistique du cinéma nigérian et ouvre la voie à une visibilité plus large pour Nollywood. « C’est surréaliste d’être ici avec mon premier film, mais cela montre que notre cinéma peut désormais s’inscrire dans la compétition mondiale », confie-t-il.
Face à cette étape symbolique, les acteurs du secteur voient aussi la nécessité de saisir l’opportunité pour repenser leur économie. La récente initiative gouvernementale, "Screen Nigeria", vise à renforcer la position de Nollywood en tant qu’acteur mondial, en attirant des investissements et en créant des emplois pour répondre à un marché intérieur colossal, tout en exportant ses histoires.
Malgré les signes d’espoir, l’industrie doit également faire face à des obstacles, notamment la frilosité croissante des géants du streaming comme Netflix ou Amazon Prime, qui ont récemment réduit leur soutien à la production africaine. Cependant, certains voient dans cette situation une chance de s’émanciper, en développant leur propre système de distribution, à l’image de ce que prône la productrice Lilian Olubi.
Les productions à venir illustrent cette ambition de valoriser les histoires africaines, souvent méconnues ou sous-représentées. Avec "Osamede", une fresque historique inspirée d’une légende béninoise, Nollywood se tourne vers le grand écran pour raconter ses héros locaux avec une ambition comparable aux grands studios internationaux. "Il est essentiel que nos histoires soient vues au-delà du Nigeria", souligne le réalisateur James Omokwe, convaincu que cette visibilité accrue peut attirer de nouveaux distributeurs et investisseurs.
Ce premier pas à Cannes n’est qu’un début. Il ouvre une porte sur un avenir où le cinéma nigérian pourra pleinement s’affirmer sur la scène mondiale, forte de ses talents, de ses histoires, et de sa vitalité. Nollywood, avec ses défis mais aussi ses possibilités infinies, semble enfin s’apprêter à écrire une nouvelle page de son histoire cinématographique, et à faire entendre sa voix dans le concert international du 7e art.